À l’âge de six ans

Une merveilleuse expérience m’a permis de vivre une retraite heureuse et enrichissante

par Jean-François Bellemare, membre du Conseil régional de Québec

Je dis souvent à des gens qui s’apprêtent à prendre leur retraite et qui font de l’angoisse à la seule pensée de s’ennuyer : « Prenez un bon moment de réflexion et regardez objectivement dans votre passé ; allez voir ce qui vous passionnait lorsque vous étiez enfant ou adolescent ».

En ce qui me concerne, j’ai toujours été très actif. Je me demandais de quelle façon je réussirais à combler mes temps libres et à continuer à évoluer une fois à la retraite. Je voulais planifier minutieusement cette phase unique de ma vie. Comme j’aime mille choses, je voulais éviter à tout prix de me disperser.

LE RETOUR DANS MON PASSÉ

En 1946, nous habitions Trois-Rivières. La Seconde Guerre mondiale était terminée depuis un an.  Mon père venait de passer cinq longues années sur les bases de l’Aviation royale canadienne, dans l’Est du pays et dans le Grand Nord.

Un après-midi de septembre alors que nous faisons une ballade en automobile, mon père eut l’idée de m’amener à l’aéroport du Cap-de-la-Madeleine pour que je voie des avions de près. Une fois sur place, il m’a demandé si j’aimerais faire un tour d’avion. J’ai accepté avec enthousiasme.

C’est à bord d’un Piper J-3 comme celui-ci, que j’ai reçu mon baptême de l’air et que j’ai développé, par la suite, une véritable passion pour l’aviation.

Le moteur est en marche. Après quelques minutes, nous quittons le sol et nous nous envolons vers Trois-Rivières. Une fois en altitude, les maisons m’apparaissent tellement petites que j’aurais pu en mettre une ou deux dans ma main. Tout était minuscule, même les gens étaient gros comme des fourmis. Après plusieurs minutes à nous balader dans le ciel de Trois-Rivières et à m’enivrer d’images merveilleuses, nous sommes revenus à l’aéroport. 

Il n’y avait pas d’enfant plus heureux que moi. L’aviation m’avait marqué à tout jamais. Depuis cette aventure, je rêvais d’aviation; je fabriquais des avions en papier et en bois et je les faisais voler. Je rêvais également de devenir journaliste, car le français écrit était ma matière forte.

Les premiers pas d’un rêve

En 1961, j’entre dans l’Aviation royale canadienne (ARC) dans le but de faire partie d’une équipe de vol. Je rêvais de devenir photographe à bord des avions.  Moins d’un an plus tard, mon rêve s’évanouit et je dois réorienter ma carrière. Je décide de quitter l’ARC.

Peu après, j’entre au service de la Télévision de Québec (CFCM-TV et CKMI-TV).  À titre de cinéaste, j’ai l’occasion de voyager par avion et par hélicoptère dans le cadre de projets d’émissions de télévision. On m’assigne comme cinéaste au tournage d’une série d’émissions portant sur le pilotage d’un avion privé. Lors des envolées avec l’instructeur, j’ai l’occasion de prendre les commandes d’un Cessna 172 et de goûter aux plaisirs de piloter un avion. 

En 1967, je quitte le domaine de la télévision.  Au cours des années suivantes, j’occuperai divers emplois dans l’enseignement, puis dans la gestion de projets.

Le passé me rattrape

J’ai pris ma retraite le 1er octobre 1996. En 1997, je deviens alors journaliste pour différentes agences de presse. Je réalise ainsi un autre grand rêve d’enfance.

À l’été de 1999, l’Association des Aviateurs et des Pilotes de Brousse du Québec (maintenant : Aviateurs et Pilotes de brousse du Québec) m’offre un poste de journaliste indépendant (pigiste) pour le magazine La Brousse, leur publication officielle. Pour moi, c’était l’occasion toute rêvée de vivre à nouveau ma passion pour l’aviation.

J’ai tout à apprendre

Je viens de m’engager dans un domaine dont j’ignore même les règles de base les plus élémentaires. Je dois apprendre très vite le langage utilisé en aviation, certains aspects de la réglementation aérienne et autres. Je dois établir des relations avec les gens d’aviation.

Avant de rédiger mon premier reportage, je devais avoir une base d’informations sur ce qu’était l’aviation de loisir, l’aviation de brousse et l’aviation commerciale. Je devais savoir qui gérait quoi et de quelle façon. En fait, j’étais face à un défi des plus passionnants; un défi qui allait  admirablement bien avec ma personnalité et mon caractère.

Volet du Québec méconnu

Au départ, je me suis intéressé aux origines de l’aviation au Québec. J’ai été stupéfait d’apprendre que le Lac-à-la-Tortue, situé tout près de Grand-Mère, en Mauricie, avait été, en 1919, le berceau de l’aviation de brousse au monde et de l’aviation civile au Canada.

Puis, j’ai commencé à réaliser des entrevues avec des pilotes de brousse à la retraite (des pionniers de l’aviation) et avec des aviateurs qui ont été des témoins et des acteurs indirects du développement social, culturel, industriel et économique des régions éloignées des grands centres. Ces pilotes ont vu naître les grands projets hydroélectriques et ont assisté aux premières exploitations des grandes richesses minières du Québec.

Je venais d’entrer dans un milieu où l’on apprend l’un des fragments les plus importants de l’histoire du Québec.  J’ai pris conscience que le Québec ne se serait jamais développé aussi rapidement, sans l’apport de l’aviation. 

J’ai réalisé des entrevues avec des pilotes qui sont encore en service actif. J’ai eu le privilège de rencontrer et de côtoyer le pionnier de l’hélicoptère sur la Côte-Nord et autres grands personnages. Je me suis également intéressé au pilotage des avions dans des conditions nordiques et également, sur les phénomènes météorologiques, physiques physiologiques qui peuvent affecter les pilotes et le pilotage d’un aéronef. Au 5 avril 2016, j’avais publié mon 178e reportage.

Mon engagement social et professionnel

Ce qui m’a toujours passionné dans l’aviation, ce sont les personnes, les pilotes, les mécaniciens, les contrôleurs aériens. Les « machines » passent au deuxième plan, quoique je ne puisse les ignorer.

Par respect et  par admiration pour ces grands de l’aviation, je ne pouvais garder sous silence les récits et les confidences que m’ont faits ces pionniers de notre aviation. C’est ainsi qu’à travers mes reportages dans La Brousse depuis 18 ans, je les ai fait connaître et j’ai mis leur vaillance, leur dévouement et leur courage en valeur. J’ai démontré par mes écrits, que ces pilotes étaient des gens instruits, hautement responsables, courageux et de belle éducation.

Depuis plus de 10 ans, je suis collaborateur bénévole pour la Fondation Aérovision Québec, dont le mandat est de mettre en valeur le patrimoine aéronautique du Québec.

Également, depuis 10 ans, je suis membre du Groupe de travail (jury) pour le Panthéon de l’Air et de l’Espace du Québec. Le Panthéon a pour objectif d’honorer ces Grands québécois de l’aviation et de l’aérospatiale et de leur donner une reconnaissance officielle.

Durant cinq ans, j’ai appuyé le projet de premier musée consacré à l’aviation civile. Ce projet avait été initié par Mme Pauline Vachon, de Sainte-Marie-de-Beauce. Durant 15 ans, cette femme s’est entourée d’une équipe de haut niveau. Elle a essuyé refus par-dessus refus par les paliers de gouvernements, mais n’a jamais baissé les bras. Le musée a finalement été construit, à côté de la Maison Dupuis, à Sainte-Marie-de-Beauce, et a été inauguré le 9 août 2011.

Depuis plusieurs années, je donne une conférence de 75 minutes sur l’histoire des pilotes de brousse au Québec et le pilotage en brousse, devant le public qui assiste annuellement à l’activité des Faucheurs de marguerites qui se tient à l’aéroport de Sherbrooke ainsi qu’une conférence sur l’histoire des pilotes de brousse devant les participants au Congrès des Cadets de l’air, à Saint-Hyacinthe.

C’est incroyable de voir à quel point les gens peuvent être intéressés à assister à une conférence sur l’histoire des pilotes de brousse.

J’ai, à plusieurs reprises, souligné l’initiative de la Ville de Trois-Rivières qui a créé un micro-musée de l’aviation dans le hall d’entrée de son nouvel édifice où loge la Direction des travaux publics.

L’aviation de brousse n’est plus seulement réservée aux avions; depuis quelques années déjà, l’hélicoptère a pris un espace important. La quatrième génération de pilotes de brousse est née.

Avec tristesse … et un certain  espoir

Lorsque l’on parle de l’histoire du Québec dans les écoles ou dans les grandes réunions politiques, le volet « aviation » est totalement absent … ou presque. J’ai décidé à l’intérieur des moyens dont je dispose, de continuer à mettre en valeur ces bâtisseurs. Les pilotes de brousse méritent une place de choix dans l’histoire du Québec.

Source : Le ProActif – Juin 2016